• Pour voir un agrandissement de l’œuvre :
    vers le site du Musée d'Orsay zoom sur l'oeuvre

  • Un enfant jouant au sable
    Un très jeune enfant accroupi, vu de dos, joue avec une pelle et un seau. Il est vêtu d'un tablier à carreaux. Sur sa tête, une large masse sombre semble le coiffer. S'agit-il de sa chevelure ou d'un béret ? Notre regard se porte sur cet enfant. Il est le centre et le thème du tableau. Il est dessiné sur une longue étendue sablonneuse de couleur ocre. A l’arrière-plan, on voit un arbuste taillé en boule, un oranger, dans sa caisse de bois. Deux marches du perron conduisent à une porte dont on aperçoit le chambranle.
    Les motifs du tableau
    Le tableau, L’enfant au pâté de sable de Pierre Bonnard est très dépouillé. Le regard du spectateur est d’abord attiré par l’enfant, puis chemine vers les autres éléments du tableau : l’oranger, les marches du perron, le chambranle de la porte à l’arrière-plan. Les jouets de l’enfant sont dans les même coloris que les vêtement de l’enfant (des noirs colorés) ; les autres éléments sont plus fondus avec l’arrière-plan ocre auxquels ils appartiennent en tant que cadre ou décor de la scène. Un format original : Ce tableau a été conçu par Pierre Bonnard, à l’origine, pour être un panneau de paravent. Il en a gardé un format vertical très allongé : il mesure 1,67 m de haut pour une largeur de 0,50 m. La surface du tableau, de coloris ocre, est ponctuée des éléments figurés : l’enfant, le seau, la pelle, l’oranger, le perron. Tout semble flotter. Cette manière d’étager les éléments dans un format allongé évoque l’influence certaine des estampes japonaises que Pierre Bonnard admirait tant.
    L’affirmation de la surface du tableau
    Pierre Bonnard, dans ses tableaux, accentue le caractère plan de la surface peinte. Il ne cherche pas à donner une illusion de profondeur par un effet de perspective : L’étendue ocre du sol, prolongée par le mur ocre ainsi que la toile du tableau qui transparaît, sont perçues comme une seule et même surface, unie dans un même coloris. Pierre Bonnard ne cherche pas non plus à rendre le volume du corps : les carreaux des vêtements sont mis à plat ; leur dessin n’épouse ni les volumes du corps ni les plis que ferait un tissu. Ce procédé est repris dans plusieurs de ses œuvres.
    Du paravent au tableau
    Cette œuvre, L'enfant au pâté de sable, était à l'origine le quatrième feuillet d'un paravent ce qui explique son format très original. Une photographie, datant de 1905, représente le peintre Pierre Bonnard : il travaille dans son atelier ; à l'arrière plan, on aperçoit le paravent avant son démantèlement. Sur le projet initial intitulé Paravent aux lapins ou Ensemble champêtre (croquis feuillet 30 recto), on devine la silhouette de l'enfant accroupi, le bac de l'oranger, l’esquisse d’un autre enfant debout. Pourquoi le tableau actuel a-t-il été isolé du paravent ? Ce panneau a paru trop différent des trois autres : représentant une composition végétale, ils sont plus décoratifs et plus saturés de formes et de couleurs.
    Les estampes japonaises
    Vers la fin des années 1880, le Japon sort d’un isolement de près de deux siècles. A cette période, il est assez facile d'acquérir des estampes japonaises à Paris : elles sont même vendues dans les grands magasins parisiens ! Cependant, les estampes japonaises ne sont pas que des objets de curiosité : de nombreux artistes découvrent l'art japonais. Ils y puisent des éléments nouveaux pour nourrir leur recherche sur le format, la représentation de l'espace, le cadrage, le point de vue… Pierre Bonnard a eu l’occasion de s’intéresser à cette nouvelle esthétique grâce à une exposition consacrée à l’art japonais et qui a eu lieu à Paris à l’école des Beaux-arts en 1890.
    L'influence des estampes japonaises
    Durant la période de la fin des années 1880, l'influence de l'art japonais va se manifester dans tous les domaines artistiques : arts décoratifs ou arts plastiques. Un nouveau courant artistique est né et prend le nom de japonisme. L’attirance pour des objets (éventail, paravent, estampes japonaises, …) prouve l’intérêt suscité par tout ce qui vient du Japon. On retrouvera ces objets comme motifs dans les œuvres de certains peintres (Paul Gauguin, Vincent van Gogh, Edouard Manet…). Pierre Bonnard et les nabis n’échappent pas à l’influence du japonisme.
    Détrempe à la colle
    Pour son œuvre, L'enfant au pâté de sable, Pierre Bonnard a utilisé une technique de peinture très ancienne, dite de détrempe à la colle. L’aspect de la surface de ce tableau reste mate et laisse voir la trame de la toile qui apparaît en réserve en de nombreux endroits. La détrempe est une peinture à l’eau dont les pigments de couleur sont liés par de la colle végétale ou animale. La toile est non préparée, c'est-à-dire qu’elle n'est pas enduite d'une couche intermédiaire entre le support et la peinture. La couche picturale obtenue est très fragile. Un vernis protecteur peut la protéger, mais alors, celui-ci rend le tableau brillant. Cette technique est notamment utilisée pour la confection de décors de théâtre.
    L’étendue ocre
    L’ocre est un colorant naturel minéral jaune-brun ou brun-rouge. Il est constitué d'argile et d'oxydes de fer ou de manganèse. L’harmonie colorée du tableau est dans des teintes d’ocre : en bas du tableau, l’enfant joue sur une surface sablonneuse aux coloris ocrés ; en haut du tableau, à l’arrière-plan, c’est le mur de la maison que Pierre Bonnard a peint de cette couleur. Les deux plans, mur et sol, sont ainsi mis, par le jeu des couleurs, sur un même plan : celui du tableau.
    Pierre Bonnard et sa famille
    Pierre Bonnard a pris pour modèle un de ses neveux, Jean Terrasse, dans la propriété familiale "Le Clos" située au Grand-Lemps dans le département de l'Isère. Les marches, la porte-fenêtre et l'oranger qui sont représentés dans L'enfant au pâté de sable se retrouvent à l'arrière-plan d’une autre de ses œuvres : L'après-midi bourgeoise. Jean et Charles ont été les sujets de plusieurs tableaux et de photographies de Pierre Bonnard. Il aimait prendre ses proches pour modèles : ses neveux, son beau-frère, Claude Terrasse, et aussi sa femme Marthe.
    Jean Terrasse, le neveu de Pierre Bonnard
    L'enfant sur le tableau semble avoir deux à trois ans. C’est probablement Jean Terrasse, un neveu de Pierre Bonnard qui est représenté. Des croquis consignés dans un carnet daté "1894-1895" permettent de suivre la genèse de l’œuvre. Pierre Bonnard avait représenté ses deux neveux, Jean et Charles Terrasse (feuillet 15 verso). L'artiste ne conservera que Jean, le plus âgé, dans la version finale du projet de paravent. Le tableau n'est pas daté mais Jean est né le 6 mai 1892. On peut donc penser que l’artiste a commencé à le peindre durant l'été 1894.
    La constitution du groupe des nabis
    Le nom de nabis signifie « les prophètes » en hébreu. Le groupe des nabis s’est constitué, en octobre 1888, autour d’une peinture de Paul Sérusier, Le talisman. Cette peinture avait été réalisée à Pont Aven sous la dictée de Gauguin. Elle devient la peinture fétiche du groupe. Les principaux peintres de ce groupe appartiennent à l’Académie Julian : Maurice Denis, Paul Ranson, Henri-Gabriel Ibels, Pierre Bonnard, Edouard Vuillard. D’autres artistes sont satellites de ce mouvement, comme Félix Edouard Valloton. Ils se posent en opposition aux impressionnistes et se sentent des affinités avec des peintres tels : Paul Gauguin, Odilon Redon, Pierre Puvis de Chavannes, Paul Cézanne. Les influences sont multiples : les primitifs du Quattrocento, les images populaires, les estampes japonaises, les symbolistes. Ce groupe restera actif une dizaine d'années.